Je viens de terminer le livre - conseillé par mon Alain-Jacques Lacot que je remercie - d’une jeune auteure tatare Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux (2015 en langue russe ; 2021 éd. Libretto ; 546 p.).

Fin des années 1920 et début des années 1930, Zouleikha est une jeune femme, mariée à l’âge de quinze ans, à un époux, Mourtaza, qui n’a guère d’égards pour elle. Elle vit en République Tatare (capitale Kazan) mais ne connaît rien d’autre que le paysage du petit village de Ioulbach et des forêts qui l’environnent. Les premiers chapitres sont d’une férocité sociale et familiale édifiante.

Puis vient l’épouvantable campagne de «dékoulakisation» commandée par Staline qui ne visait qu’à piller les campagnes et à instaurer un pouvoir susceptible de prévenir toute révolte paysanne. Le mari de Zouleikha est tué par le chef d’un détachement de gardes rouges, Ignatov. Et elle est déportée.

Sans savoir où.

Son histoire couvre ensuite quatre périodes principales : le convoi vers la Sibérie, qui dure plusieurs mois avec une effroyable mortalité parmi les "déplacés" ; l’installation très précaire à plusieurs centaines de kilomètres de toute localité, au moment où elle accouche d’un petit garçon, Youssouf ; l’amélioration relative de la vie à partir de la construction d’un village (elle est alors chasseur) en pleine taïga ; la guerre et l’immédiat après-guerre quand son fils veut quitter cette colonie de travail (1946).

Le large éventail des personnages est décrit avec une grande subtilité psychologique. Zouleikha n’est pas seule à ouvrir les yeux. Ignatov, commandant du camp également.

Magnifique roman d’une très grande densité sur les variations de l’humain et de l’inhumain chez nombre d’individus dans ces conditions souvent extrêmes de survie.

Michel Renard
19 février 2022