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9 avril 2019

Adolphe Paupe, surnommé l'archiviste de Stendhal

Paupe, image titre

 

 

Adolphe Paupe (1854-1917),

surnommé l'archiviste de Stendhal *

 

Adolphe Paupe est un bibliographe et critique littéraire, né en 1854 à Troyes et mort en 1917 à Paris. Il est connu comme spécialiste de l'écrivain Stendhal, de sa biographie et de sa bibliographie.
Ses deux principaux ouvrages, Histoire des œuvres de Stendhal et La vie littéraire de Stendhal constituent toujours des références dans les études stendhaliennes.
Mais le personnage a été oublié. J'ai recherché et rassemblé ce qu'on peut connaître de la vie d'Adolphe Paupe. Sans malheureusement trouver aucun portrait, aucune image de lui.

sommaire
  1 - Jeunesse
  1 - Auteur
      Livres
      Articles
      Correspondance

_______________________

 

Biographie

Adolphe Édouard Célestin Paupe est né le 13 octobre 1854 à Troyes dans l'Aube.

Son père, Louis François (né en 1816), est imprimeur lithographe. Le 21 novembre 1848, il épouse Joséphine Clausel, fille d'Alexandre Clausel, artiste peintre et premier photographe de Troyes (1) qui habitait au n° 19 de la rue la Trinité (2). Son imprimerie porte le nom commercial Paupe-Clausel.

La famille Paupe habite au n° 4 de la rue de la Trinité (3), à proximité de l'Hôtel de Mauroy situé au n° 7 de la même rue étroite aux maisons très anciennes.

Troyes, Hôtel de Mauroy et rue Trinité
Troyes (Aube), rue de la Trinité, vers 1900/1910

 

facture imprimerie Paupe-Clausel, 1862
facture de l'imprimerie Paupe-Clausel, 1862

 

billet de mérite scolaire, 1872
bulletin de mérite scolaire, lithographie Paupe-Clausel à Troyes, 1872

 

Jeunesse

Adolphe est le quatrième enfant d'une fratrie de garçons au nombre de cinq (4). Il passe son enfance et sa jeunesse dans cette ville du sud de la Champagne "pouilleuse", comme on disait alors. Le recensement de 1872 le mentionne toujours à Troyes, avec sa famille, mais il disparaît sur celui de 1876.

Sa famille quitte Troyes, avant 1881, à l'exception d'un frère d'Adolphe qui perpétue l'atelier d'imprimeur de son père (5). Elle s'installe à Paris, rue Saint-Merri (4e arr.) (6).

 

Mariage et enfants

Adolphe Paupe se marie le 21 août 1883 à Paris (9e arr.), avec Marie Adélaïde Favre (n1), née le 28 octobre 1862 à Paris (7). Ses deux parents sont présents à la cérémonie : son père, âgé de 67 ans, est mentionné comme «représentant de commerce». Adolphe vivait alors chez eux, rue Saint-Merri au n° 16, selon son acte de mariage.

Le couple réside à Dijon (Côte d'Or), rue François Rude puis rue de la Trémouille (n2). Après la naissance du deuxième enfant - mais la raison est probablement d'ordre professionnel -, il quitte la Bourgogne pour Paris vers 1889-1890. La famille s'installe dans le 18e arrondissement, d'abord rue Durantin, n° 8, et enfin rue des Abbesses au n° 50 (8).

Adolphe Paupe est le père de cinq enfants :

  • Virginie Jeanne Suzanne, née le 12 juillet 1886, à Dijon.
  • André Léopold, né le 31 août 1888, à Dijon.
  • Anna Camille Suzanne, née le 19 février 1895, à Paris (18e arr.).
  • Suzanne Octavie Mauricette, née le 22 janvier 1896, à Paris (18e arr.).
  • Aline Charlotte Henriette, née le 9 janvier 1899, à Paris (18e arr.).

Adolphe Paupe à Dijon, montage
jeune marié, Adolphe Paupe vit à Dijon quelques années

 

le Paris d'Adolphe Paupe, 1890-1917
le Paris d'Adolphe Paupe, vers 1890-1910

 

Dans les années 1910, Adolphe Paupe se retirait en fin de semaine dans la petite commune de Villiers-sur-Marne ainsi que nous l'apprennent trois des cinq lettres - localisées - adressées à Marcel Astruc en 1915 : 24 août, 27 septembre et 3 octobre (Stendhal Club, revue, «Contribution à l'histoire du stendhalisme. Cinq lettres inédites d'Adolphe Paupe», 15 janvier 1968, p. 149-155). L'adresse est précisée : rue du Closeau.

Le 24 août, il écrit : «C'est à la campagne, en pleine verdure, que votre réponse me parvient».

Le 3 octobre : «Je suis venu passer mon dimanche ici et je vous écris en plein soleil dans la courette précédant mon petit verger».

Il devait probablement s'y rendre en train depuis Paris.

Villiers-sur-Marne, place de la gare
Villiers-sur-Marne, place de la gare, vers 1900

Villiers-sur-Marne, gare, vue intérieure
Villiers-sur-Marne, vue intérieure de la gare, vers 1905

 

Carrière professionnelle

Adolphe Paupe a été comptable (1883), gérant du quotidien dijonnais Le Petit Bourguignon (1886, 1888) (9) ; l'un des témoins à la naissance de sa fille, en juillet 1886, est Victor Bergery, rédacteur au Petit Bourguignon (n3).

Il devient ensuite chef de bureau dans une compagnie d'assurances à Paris (10). Pierre-Joseph Richard (n4) révèle que Remy de Gourmont «venait de temps à autre trouver Paupe à son bureau, 23, rue de Londres» (11).

Or, à cette adresse, dans le 9e arrondissement, se trouvait le siège d'une importante compagnie d'assurances sur les accidents, la Prévoyance (12). Il s'agit de la société dans laquelle travaillait Adolphe Paupe.

La Prévoyance, compagnies d'assurances, avant 1914
La Prévoyance, 23 rue de Londres

 

Paris, rue de Londres, vers 1905
Paris, rue de Londres, vers 1905

Le critique et écrivain Paul Léautaud le consigne d'ailleurs explicitement à la date du jeudi 18 janvier 1906 de son Journal littéraire : «Aujourd'hui jeudi je suis allé rue de Londres, à la Compagnie d'Assurances La Prévoyance, voir Adolphe Paupe, au sujet de la Chronique stendhalienne et de Gourmont. J'ai retrouvé le même homme curieux au possible, en tant que stendhalien» (13).

Cette occupation professionnelle n'avait cependant guère d'intérêt pour lui : il a consacré l'essentiel de sa vie à l'œuvre stendhalienne.

 

Adonné au culte de Stendhal

Paul Léautaud a plusieurs fois évoqué la figure d'Adolphe Paupe et noté la place subalterne qu'il réservait à son emploi. Ce que rappelle le magazine Pourquoi pas ? en 1935 :

«À propos de l'anniversaire de la mort de Remy de Gourmont, le Mercure de France publie de charmants et émouvants souvenirs de Paul Léautaud. Celui-ci, avec Gourmont, avait fait la connaissance, en 1906, d'un employé comptable dont l'histoire était singulière.

Ce brave homme, M. Paupe, s'était consacré totalement au culte stendhalien. Il vivait très modestement mais ne se refusait rien quand il s'agissait du culte qu'il avait voué à l'auteur de La Chartreuse de Parme. Il possédait une collection très rare, livres, manuscrits, gravures. Seulement, cette collection coûtait à M. Paupe, à sa femme et à ses enfants pas mal de privations. - Du pain, Stendhal, et de la viande après, disait M. Paupe, en souriant. Et il ajourait : "Moi je dîne de Stendhal et je soupe de Beyle !".

À sa femme qui, devant les visiteurs, se plaignait des dépenses imposées par l'achat des documents, M. Paupe répondait : "Si l'on peut dire... Ainsi, Le Rouge et le Noir, je ne l'ai que dix fois...!" Et il se réjouissait parmi ses richesses stendhaliennes, tandis que l'humble ménagère et les cinq gosses vivaient un peu de l'air du temps» (14).

Le Rouge et le Noir, tome premier, 1831

Dans son Journal littéraire, à la date du 21 janvier 1906, Léautaud raconte la visite rendue à Paupe par lui-même et Remy de Gourmont :

«Il a passé presque plus d'une année pour son manuscrit de la Correspondance (n5), négligeant des travaux de comptabilité qu'il faisait auparavant chez lui le soir et qui augmentaient son budget. Il a cinq enfants. Gourmont lui a demandé si sa famille est stendhalienne. Il a avoué que non, et bien au contraire. "Dame, lui dis-je, vous devez user beaucoup de pétrole, à travailler comme vous dites tous les soirs jusqu'à minuit, et alors... - Oui", m'a-t-il répondu en me regardant et le ton suffisait.

Ce ton évoquait Mme Paupe, les soucis du ménage, les besoins, les dépenses plus nécessaires, etc., et les reproches de l'épouse, à voir la lampe encore allumée à onze heures, à cause de Stendhal. On comprend que Paupe, comme il nous disait, désire qu'il soit possible de lui donner un billet de mille sur l'argent qu'on trouvera, si on le trouve, pour éditer la Correspondance. Cela lui permettra de dire à sa femme : "Tu vois bien, Stendhal, ce n'était pas si mauvais que ça. Tu avais bien tort de crier autant. J'ai touché mille francs... Embrassons-nous"» (15).

rue des Abbesses, vers 1910, Adolphe Paupe
le 50, rue des Abbesses

Le journal Le Temps décrit Adolphe Paupe dans ses dernières années :

«Sa vue, devenue faible, l'obligeait à porter de grosses lunettes, et il examinait les manuscrits nouveaux avec l'attention d'un savant penché sur le microscope. Il savait tout de l'œuvre immense de Beyle et les moindres ébauches de l'écrivain lui étaient familières. On lui doit non seulement de mieux connaître cette œuvre, mais encore de l'aimer davantage» (10).

 

La mort du fils

Adolphe Paupe avait un seul fils, André Léopold, né le 31 août 1888 à Dijon, peu de temps avant que la famille Paupe ne vienne à Paris (9).
Lors du recensement des appelés à l'armée, à l'âge de 20 ans, il exerce la profession d'inspecteur d'assurances. Il effectue son service militaire au 22e régiment de dragons, d'octobre 1909 à septembre 1911. Il obtient le grade de brigadier (caporal).
Le jeune homme meurt de maladie, «aggravée en service» pendant la guerre, le 20 mars 1915, à l'hôpital temporaire installé dans le groupe scolaire Mirabeau à Tours (16). Bien que mort pendant les hostilités, il n'a pas obtenu la mention «mort pour la France».

Dans une lettre du 24 août 1915, adressée à Marcel Astruc, auteur d'un article citant le nom de Stendhal dans La Vie parisienne (7 août 1915), Adolphe Paupe évoque la mort de son garçon : «j'ai perdu, au mois de mars, un fils de 26 ans, beau comme le Christ, rempli de cœur et d'intelligence, en qui j'avais mis tous mes espoirs. Dragon, il avait échappé trois fois à la Mort qui, pour ne pas le manquer une quatrième fois, l'attendit dans un hôpital, armé d'un bistouri.» (Stendhal Club, revue, 15 janvier 1968, p. 151).

Paupe Léopold, fiche mort
fiche de Léopold Paupe, mort le 20 mars 1915

Tours, groupe scolaire Mirabeau, hôp temp
Léopold Paupe est mort à Tours le 20 mars 1915

La même année, le père meurtri par la mort de son fils perd son ami Remy de Gourmont, écrivain et chroniqueur au Mercure de France (27 septembre 1915).

Dans une autre lettre à Marcel Astruc, datée du 3 octobre 1915, il écrit : «Vendredi dernier, j'ai conduit au Père-Lachaise un ami de cœur et d'esprit, avec lequel j'étais en relation depuis dix ans. Bien qu'il n'eût que 57 ans, c'était un père pour moi, dans l'ordre spirituel. C'est M. Remy de Gourmont. Le connaissiez-vous ? Avez-vous lu l'un des 40 volumes qu'il a laissés à la postérité ? Il avait abordé tous les genres, mais ce fut surtout le philosophe le plus clair, le plus accessible et le plus riche d'idées de notre époque. Exempt de toute amertume, curieux, savant et dénué de toute ambition vulgaire, il était tenu en grande estime par votre ami [Anatole] France. C'est pour moi une douleur qui s'ajoute à l'autre, en attendant que d'autres encore viennent en augmenter le nombre». (Stendhal Club, revue, 15 janvier 1968, p. 155).

Rémy de Gourmont, portrait
Remy de Gourmont

Ces deux disparitions ont fait dire au journal Le Temps, le lendemain des obsèques d'Adolphe Paupe :

«M. Édouard Champion, qui l'a salué au cimetière, nous a appris que ce beyliste illuminé avait souffert de douleurs tout humaines : "Au cours des dernières années, la mort de son ami Remy de Gourmont, qui l'appréciait particulièrement, l'avait bien durement frappé, et plus durement encore la mort glorieuse d'un fils chéri, un grand beau gars au regard clair et dont la timidité était, sous les armes, devenue bravoure". Ainsi, la guerre n'avait même pas épargné la tour d'ivoire où le père Paupe vivait en communion constante avec le dieu de sa curiosité» (10).

Leautaud_1915
Paul Léautaud, en 1915

Paul Léautaud fréquente Adolphe Paupe depuis une dizaine d'années (14). Il a relaté ce moment de deuil du fils et tancé la manière dont Paupe réagissait. Édith Silve, spécialiste de Léautaud, le rappelle :

«La douleur d’Adolphe Paupe à qui on vient de ramener son fils mort lui donne l’occasion de transformer une scène mortuaire en une scène comique. En effet, Paupe qui partageait avec son fils une commune passion pour Stendhal n’a rien trouvé de mieux, pour honorer la mémoire de son fils, que de truffer de notes les pages de garde des volumes qu’ils avaient lus tous deux. Loin de Léautaud l’idée de voir dans ce rite un acte d’amour du père pour son fils ; cette dévotion qui passe par la littérature – et quelle littérature : Stendhal – que Paupe semble plier à tous les usages, revêt à ses yeux un caractère dérisoire et cocasse.

Il est vrai que Paupe a toujours prêté le flanc à la satire de Léautaud à cause de la manière dont il abordait cet auteur en se livrant à d’harassants travaux de copie et de décryptage de lettres de Stendhal, dormant et mangeant avec son auteur jusqu’à en rassoter. Paupe a confondu sa dévotion à Stendhal et le souvenir qu’il doit à son fils pour établir une sorte de rituel auquel il a eu la fâcheuse idée de convier Léautaud. "Le fils de Paupe, note ce dernier dans son journal d’août 1915, qui avait fait la retraite de Charleroi avait, par exemple, reçu deux balles dans son casque. Paupe a répété ce détail dans ses notes de chaque volume : “il avait reçu deux balles dans son casque”. Quand on lit cela trois ou quatre fois de suite comme je l’ai fait tantôt (…), cela prend un petit air comique"» (17).

 

La mort d'Adolphe Paupe

Adolphe Paupe meurt le 20 février 1917 à dix-sept heures trente. Quatre jours après Octave Mirbeau, écrivain influencé par Stendhal en qui il voyait un «grand incompris» et dont il évoquait les «visions profondes».

Octave Mirbeau, 1916
Octave Mirbeau,
mort le 16 février 1917

Le journal Le Temps accorde une nécrologie au stendhalien de Montmartre :

«C'était un religieux : entendez qu'il avait consacré toute sa vie au culte d'un homme ou plutôt d'une œuvre. Il était stendhalien comme on est chartreux ou même spirite. Il était l'exégète savant d'Henri Beyle, en même temps que le conservateur de sa mémoire. Il veillait sur le temple du "Milanese" avec ferveur et jalousie. Et il répandait la parole du maître avec la foi d'un apôtre. Sa vie était humble. (...) il habitait une "bourgeoise" et modeste maison de la rue des Abbesses. Ses journées étaient toutes consacrées à ses devoirs de bureaucrate, mais ses soirées étaient vouées à sa mission littéraire. Il a dressé des monuments à la gloire de son dieu : l'Histoire de l'œuvre, la Vie littéraire, la Correspondance de Stendhal» (10).

André Billy a laissé un portrait d'Adolphe Paupe dans son livre de souvenirs, Le Pont des Saints-Pères (1947) :

«J'avais connu Adolphe Paupe au Censeur où il publiait une Chronique stendhalienne (n6) analogue à celle que Martineau donne encore au Divan. C'était alors un homme d'environ cinquante-cinq ans, à qui sa très mauvaise vue et ses moustaches tombantes donnaient un air extrêmement triste. Il était tout simplement timide et sa timidité s'aggravait, il me semble, de sa dévotion à Stendhal, car il ne vivait que pour lui, dans son souvenir et dans le rayonnement de sa gloire ; le reste ne lui était rien.

Il avait réuni dans son petit appartement de la rue des Abbesses tout ce qu'il avait pu trouver se rapportant de près ou de loin, parfois de très loin, à Stendhal. Il avait présentes à la mémoire toutes les dates de la vie temporelle et de la vie posthume de Stendhal. C'était un homme vraiment extraordinaire, dont la ferveur stendhalienne ne peut être comparée qu'à celle, balzacienne, de notre cher Marcel Bouteron. La mort de son fils, tombé à la guerre, le tua» (18).

Dans sa livraison du 16 mars 1917, le Mercure de France, sous la signature de Paul Léautaud, évoque chaleureusement la personnalité et l'œuvre de celui qui aimait à se reconnaître sous le titre de «bibliothécaire de Stendhal» (voir ci-dessous).

Adolphe Paupe fut inhumé au cimetière de La Chapelle. Édouard Champion prononça un discours.

 

Tombe Stendhal, 31 octobre 2014
tombe de Stendhal, 20 octobre 2014

 

 

Adolphe Paupe, le stendhalien

Adolphe Paupe date son «initiation» comme stendhalien de l'année 1876 (19). Ses principales publications interviennent cependant presque trente ans plus tard, avec l'Histoire des œuvres de Stendhal en 1903.

Adolphe Paupe n'a jamais manifesté la moindre forfanterie à l'égard de son travail. Le 18 janvier 1906, Paul Léautaud le rencontre au siège de la société La Prévoyance pour lui demander de collaborer à un projet de journal. Adolphe Paupe se montre :

«Toujours aussi modeste, répétant qu'il n'est qu'un copiste, qu'un comptable, et qu'il n'a fait que de la comptabilité stendhalienne. "Bélugou (n7) m'a fait du reste le plus beau compliment qu'on puisse me faire, a-t-il ajouté, en me disant qu'il n'y avait rien de moi dans mon livre"» (20).

 

L'archiviste de Stendhal

C'est par cette formule qu'était désigné Adolphe Paupe (21), parfois aussi le «notaire du stendhalisme» (22). L'éditeur Édouard Champion est l'un des contemporains de Paupe qui a témoigné à ce sujet :

«Le Stendhal-Club ! C'est tout là-haut, à Montmartre, au cinquième d'une maison modeste, tout près du cimetière où repose Stendhal. Des fenêtres on peut - presque - surveiller sa tombe. Le maître du logis sait tout de Stendhal, et il sait tout Stendhal. Interrogez-le sur une date, il vous la dira à l'instant même, comme il achèvera de mémoire la phrase de Stendhal que vous aurez commencée.

M. Paupe a réuni tout ce qu'il avait pu trouver d'éditions, d'articles, de numéros de revue concernant l'auteur de La Chartreuse. Il a abonné Stendhal au courrier de la presse et c'est chaque jour, du monde entier, un énorme courrier posthume des plus bigarrés, lettres d'amour et d'injures, billets signés et anonymes. Tous ces articles, il les massacre un peu pour les coller sur des cahiers, les agrémentant de découpures et d'images. Et la reliure est souvent faite de ses propres mains.

Vous que Stendhal passionne, faites ce pèlerinage. Allez 50, rue des Abbesses. Vous verrez un homme enthousiaste, entièrement voué à une mémoire vénérée, sans espoir de profit, sans bruit de gloire, et que nul honneur humain n'est allé trouver» (23).

Édouard Champion, 28 juin 1920
Édouard Champion, 28 juin 1920 (source)

En réalité, les «archives Stendhal» désignaient la collection particulière d'Adolphe Paupe : «...ce dernier possédait dans deux profondes armoires, pompeusement intitulées "Archives du Stendhal-Club", les éditions, les manuscrits de l'auteur du Rouge avec mille curieuses et cocasses reliques» (24). Dans Le promeneur de la Butte Montmartre, l'écrivain Paul Desalmand (1937-2016) note pareillement : «Sa maison du 50 rue des Abbesses devint une sorte de musée Stendhal personnel où s'entassaient gravures, huiles, statues en plâtre ou en bronze, bibelots divers, assiettes décorées de scènes de romans et évidemment des textes et ouvrages divers» (25).

Dans le quotidien de Clemenceau, L'homme libre, le journaliste André Maurel (n8) évoque le Stendhal-Club :

«Il est un lieu pourtant que le Stendhal-Club peut invoquer pour son siège (...). Et c'est tout simplement la haute demeure de la rue des Abbesses, du haut de laquelle M. Adolphe Paupe a réuni les archives du club. Entendez les siennes, celles réunies par lui et qui contiennent des trésors inappréciables puisqu'ils échapperont toujours à l'impôt (...). J'avais appelé autrefois Casimir Stryienski le paléographe particulier de Stendhal. De même a-t-on nommé M. Paupe l'archiviste particulier. (...) M. Paupe ouvre largement sa porte à qui se recommande d'amour stendhalien. J'ai feuilleté les dossiers et compulsé les livres, bien rangés dans l'armoire vitrée, chapelle, saint des saints, touchant et grave à la fois, où un culte fleurit, celui de l'intelligence et de la sensibilité la plus aiguë qui fût jamais peut-être» (26).

 

Histoire œuvres Stendhal, new

Histoire des œuvres de Stendhal

Ami d'Adolphe Paupe, Remy de Gourmont qualifiait d'«excellente» l'Histoire des œuvres de Stendhal (27). Quant à Casimir Stryienski, le «découvreur de Stendhal» à partir des manuscrits de la bibliothèque de Grenoble, il raconte l'origine de cet ouvrage à laquelle il se trouve mêlé personnellement :

«Depuis plusieurs années, j'avais amassé des notes qui devaient me servir à faire une œuvre modeste, mais fort utile - une bibliographie stendhalienne. Le temps me manquait pour réunir et coordonner mes fiches, éparpillées dans mes tiroirs... quand j'eus la bonne fortune d'entrer en relations avec M. Adolphe Paupe ; je lui proposai de se charger du travail et de lui confier tous mes matériaux. M. Paupe se mit en campagne avec tant de zèle que la bibliographie devint bientôt un volume et dépassa de beaucoup les proportions ordinaires, elle se changea bel et bien en une histoire raisonnée des ouvrages de Beyle (...)

M. Paupe a non seulement fait la nomenclature des éditions, il a dressé une liste des articles les plus saillants consacrés à Beyle. Non satisfait de les énumérer sèchement, il a extrait avec impartialité certains passages de ces articles, enregistrant les critiques aussi bien que les éloges, et c'est là que son travail est tout à fait précieux. Quel intérêt n'y a-t-il pas, en effet, de pouvoir comparer l'étude de Jules Janin sur le Rouge et le Noir, au lendemain de l'apparition de ce roman, avec celle de Taine ou celle de Bourget ?» (28).

L'ouvrage comporte vingt-cinq chapitres portant sur les ouvrages de Stendhal proprement dits, et dix-huit autres chapitres thématiques.

Table matières, Histoire des œuvres de Stendhal, Paupe
table des matières de l'Histoire des œuvres de Stendhal, Adolphe Paupe, 1903

Le travail de Paupe a été salué par la critique :

  • «Les beylistes vont être dans la joie : M. Adolphe Paupe vient (...) d'achever une bibliographie très complète des œuvres de l'auteur de la Chartreuse, ainsi que des études et des critiques qui s'y rapportent. C'est là un document d'une valeur incontestable qui fixe dès maintenant certains points de la vie et de l'histoire (si compliquée) des œuvres de Henri Beyle», écrit Jules Bertaut (n9) dans La Revue hebdomadaire (29).

Jules Bertaut, 1913
Jules Bertaut, 1913

  • «M. Casimir Stryienski et M. Adolphe Paupe nous ramènent à Stendhal lui-même, à un Stendhal exact, contrôlé, soigneusement dépouillé des déformations matérielles et des déviations intellectuelles qu'ont dû, plus ou moins, lui faire subir les "trente-six romanciers au milieu desquels la mode l'admet", ou l'admettait. Ainsi nous rendront-ils capables de goûter Stendhal sans danger. (...) M. Adolphe Paupe a voulu joindre à la sécheresse bibliographique l'amusant défilé des opinions. Après l'histoire et la genèse de chaque ouvrage, il nous donne les jugements les plus célèbres qui furent publiés soit à leur apparition naturelle, soit au cours de critiques modernes, soit à l'occasion des découvertes faites à la bibliothèque de Grenoble», note André Thévenin dans La Chronique des livres (30).

En 1942, le critique stendhalien bien connu, Henri Martineau continue de louer la publication d'Adolphe Paupe : «Paupe apportait en outre un livre des plus précieux, son Histoire des œuvres de Stendhal, importante bibliographie commentée qui parut en 1904» (31).

 

La vie littéraire de Stendhal, Adolphe Paupe, 1914

La vie littéraire de Stendhal

En 1914 paraît le dernier ouvrage du beyliste de Montmartre, en appendice aux Œuvres complètes de Stendhal publiées par Édouard Champion. Il en décrit lui-même la portée : «De mon côté, j'offre ici ma glane d'inédits, relatifs aux Œuvres de Stendhal dont ils racontent la genèse et les incidents de publication. J'exprime toute ma gratitude à M. Champion qui a bien voulu ajouter ce petit supplément à sa grande entreprise stendhalienne et à M. Muller qui en a corrigé les épreuves avec un rare dévouement lors de la période où je fus privé de l'usage de mes yeux» (32).

Le critique littéraire à L'Action française, Pierre Lasserre, écrit :

«La Vie littéraire de Stendhal, par le fameux stendhalien, M. Adolphe Paupe, qui sait sur la biographie et les œuvres de Stendhal tout ce qu'il est humainement possible de savoir. Sous cette rubrique, M. Paupe a compris l'historique des livres de son auteur, des notes sur ses relations avec les hommes de lettres de son temps, les opinions exprimées sur lui par les principaux écrivains du XIXe siècle et l'élucidation de petits problèmes pleins de saveur» (33)

La Vie littéraire de Stendhal, Adolphe Paupe, table des matières
table des matières de La Vie littéraire de Stendhal, Adolphe Paupe, 1914

 

Publications

Auteur

Livres

  • Histoire des œuvres de Stendhal, (introduction de Casimir Strienski), 1903 [archive].
  • Stendhal et ses livres, 1910. (repris dans le premier chapitre de La Vie littéraire de Stendhal) [archive]
  • Seize lettres inédites de Prosper Mérimée à Sutton Sharpe, 1910.
  • Vingt-neuf lettres inédites de Prosper Mérimée à Sutton Sharpe, 1911.
  • La Bibliothèque de Stendhal, 1911. (repris dans le chapitre XII de La Vie littéraire de Stendhal) [archive]
  • Stendhal et ses contemporains. Lettres inédites, 1912. (repris dans le chapitre XIII de La Vie littéraire de Stendhal) [archive]
  • La Vie littéraire de Stendhal, éd. Honoré Champion, 1914 [archive].

Articles

  • «Stendhal et ses éditeurs. Documents inédits (I)», Mercure de France, 16 mai 1910, p. 261-273 [archive].

Correspondance

  • «Contribution à l'histoire du stendhalisme. Cinq lettres inédites d'Adolphe Paupe», Stendhal Club, revue, 15 janvier 1968, p. 147-155.

Éditeur scientifique

  • Stendhal. Correspondance, 1800-1842, publiée par Ad. Paupe et P.-A. Chéramy, 3 volumes, 1908.

Stendhal en miroir

Bibliographie

  • Stendhal en miroir. Histoire du stendhalisme en France, 1842-2004, Philippe Berthier, éd. Honoré Champion, 2007.

 

Michel Renard
professeur d'histoire

 

* Je reprends la matière de ma contribution à une encyclopédie en ligne, en l'augmentant (texte et iconographie) avant que les petits censeurs incultes de cette "encyclopédie" ne viennent la saccager.

 

Notes
1 - Fait assez rare à l'époque, l'acte signale la profession de l'épouse : «employée de commerce». Il est également noté qu'elle est domiciliée : «de fait, place du Havre, 56 ; et de droit chez son père, rue de la Roquette, 115».
2 - Aujourd'hui, boulevard de la Trémouille.
3 - Douze ans plus tard, ce Victor Bergery est toujours au Petit Bourguignon et assiste au procès du célèbre criminel Joseph Vacher ; son nom est cité par le juge d'instruction qui a laissé un récit-analyse de cette affaire : Vacher, le plus grand criminel des temps modernes, 1932, p. 333 [archive].
4 - Pierre-Joseph Richard ne doit pas être confondu avec le critique littéraire Jean-Pierre Richard (1922-2019).
5 - La Correspondance (1800-1842), publiée par Adolphe Paupe et Paul-Arthur Chéramy, préface de Maurice Barrès, éd. Bosse, 3 volumes, est parue en 1908.
6 - Par exemple, dans Le Censeur politique et littéraire, du 18 mai 1907 : «Le Rouge et Noir chanté par Béranger» ; dans celui du 25 mai 1907 : «Les Mémoires d'un touriste», «Les illustrations du Rouge et Noir», «Le Rouge et Noir et la chansonnette». La période de parution du Censeur politique et littéraire s'étend d'octobre 1906 à mars 1908 ; cf. revues-littéraires.com [archive].
7 - Léon Bélugou (1865-1934), homme de lettres ayant collaboré notamment à La Revue Blanche et au Mercure de France ; stendhalien ; ami de Marcel Proust et d'Edith Wharton ; devenu administrateur de sociétés minières en Indochine après la Première Guerre mondiale.
8 - André Maurel (1863-1943), journaliste et écrivain proche de Maurice Barrès ; cf. Frédéric Da Silva, «Le Supplément littéraire du Figaro "tripoté" par Paul Bonnetain», Médias 19.
9 - Jules Bertaut (1877-1959), historien, essayiste, critique littéraire [archive].

 

Références

1 - Cf. Jacques Fournier, «Alexandre Clausel, peintre et photographe du siècle dernier», académie troyenne d'études cartophiles [archive].
2 -
Archives départementales de l'Aube, recensement numérisé de la ville de Troyes, 1846.
3 -
Archives départementales de l'Aube, état civil numérisé, acte de naissance d'Adolphe Paupe en 1854.
4 -
Archives départementales de l'Aube, recensements numérisés de la ville de Troyes, 1861, 1866, 1872, 1876.
5 -
Archives départementales de l'Aube, recensement numérisé de la ville de Troyes, 1881.
6 -
Archives de Paris, état civil numérisé, acte de mariage d'Adolphe Paupe.
7 -
Archives de Paris, état civil numérisé [archive].
8 -
Fiche matricule d'André Léopold Paupe, classe 1908, archives numérisées de Paris [archive].
9 - 
Cf. acte de naissance de son fils André Léopold, archives départementales de la Côte d'Or, état civil numérisé.
10 - 
Le Temps, 26 février 1917 [archive].
11 -
P.-J. Richard, «Un Stendhalien du XIXe siècle. Adolphe Paupe», Le Cerf-Volant, n° 19, octobre 1957 [archive].
12 -
Cf. Le Moniteur de la Prévoyance, revue mensuelle, décembre 1900, p. 11 [archive].
13 -
Paul Léautaud, Journal littéraire, choix de pages, éd. 1998, Folio, 2013-2018, p. 147.
14 -
Pourquoi pas ?, gazette hebdomadaire, 25 octobre 1935 [archive].
15 -
Paul Léautaud, Correspondance littéraire, choix de pages, éd. 1998, Folio, 2013-2018, p. 150.
16 -
Base des morts pour la France de la Première Guerre mondiale, site Mémoire des hommes.
17 -
Édith Silve, Paul Léautaud et le Mercure de France, 1985, p. 38-39 [archive].
18 -
André Billy, Le Pont des Saints-Pères, 1947.
19 -
Adolphe Paupe, lettre à Casimir Stryienski du 20 mai 1903, dans Histoire des œuvres de Stendhal, 1903, p. 8 [archive].
20 -
Paul Léautaud, Correspondance littéraire, choix de pages, éd. 1998, Folio, 2013-2018, p. 1148.
21 -
L'Homme libre, journal de Clemenceau, 12 mars 1914 [archive].
22 -
Émile Roux-Parassac, «Nécrologie de Paul Guillemin», Bulletin de la Société d'études des Hautes-Alpes, 1928, p. 327 [archive].
23 -
Édouard Champion, note de l'éditeur, Bibliographie stendhalienne par Henri Cordier, membre de l'Institut, Paris, librairie ancienne Honoré Champion, 1914, p. IX-X [archive].
24 -
Chroniques des lettres françaises, Joseph Place directeur, n° 5, septembre-octobre 1923, p. 740 [archive].
25 -
Paul Desalmand, Le promeneur de la Butte Montmartre, 2009, p. 121. Le «promeneur» en question est l'auteur lui-même.
26 -
André Maurel, «Au Stendhal-Club», L'Homme libre, 12 mars 1914 [archive].
27 -
Remy de Gourmont, Promenades littéraires, 1913, p. 105 [archive].
28 -
Casimir Stryienski, introduction à Histoire des œuvres de Stendhal, Adolphe Paupe, 1903, p. 11-12 [archive].
29 -
La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages, février 1904, p. 337 [archive].
30 -
André Thévenin, La Chronique des livres, 10 janvier 1904, p. 101 [archive].
31 -
Henri Martineau, Comœdia, 23 mars 1942 [archive].
32 -
Adolphe Paupe, préface à «La Vie littéraire de Stendhal», Bibliothèque stendhalienne, appendice aux Œuvres complètes, 1914, p. VIII [archive].
33 -
Pierre Lasserre, L'Action française, 14 mars 1914 [archive].

 

 

Annexes

La mort d'Adolphe Paupe, Mercure de France, 16 mars 1917

Une curieuse figure du monde littéraire vient de disparaître avec Adolphe Paupe, mort le 20 février 1917, à l’âge de 63 ans, après quelques mois de maladie. Pittoresque, amusant, bon vivant, bourgeois par ses manières et son existence, esprit libre par ses idées et sa philosophie, savant dans son petit domaine, et, par-dessus tout cela simple et brave homme au possible, il avait acquis une certaine notoriété avec des travaux de bibliographie consacrés à un unique écrivain, pour lui un dieu : Stendhal.

Du jour qu’il l’avait lu pour la première, dans sa jeunesse, en province, il avait été conquis et il avait voué à l’auteur de La Chartreuse un culte qui devait aller grandissant. Depuis, il n’avait fait que le lire et le relire, et s’occuper de son œuvre dans tout ce qui la concerne : textes, dates, variantes, éditions, commentaires, articles et études critiques. Devenu chef de service dans une compagnie d’assurances parisienne, tous les loisirs dont il disposait étaient donnés à son culte.

Aussi peut-on dire qu’il connaissait très bien l’œuvre et la vie même de Stendhal. Il s’était vraiment identifié avec l’une et l’autre. Tout ce qui les concernait le regardait personnellement. Rien ne se publiait à leur sujet sans qu’il le connût et en augmentât sa collection de documents. Pour être plus sûr que rien ne lui échappât – et c’est un détail, entre autres, qui le peindra – il était abonné à l’Argus et aux agences similaires sous le nom même de Stendhal, à sa propre adresse, 50 rue des Abbesses.

Ce zèle, si parfaitement désintéressé, né uniquement d’une admiration littéraire, et qui lui a si justement mérité la sympathie et le respect, n’avait d’abord valu à Adolphe Paupe que des relations dans le monde des stendhaliens. Il fit ensuite de lui un écrivain, sur les conseils de Casimir Stryienski, qui l’engagea à réunir en volume les documents qu’il avait collectionnés. Adolphe Paupe publia alors son premier ouvrage, Histoire des œuvres de Stendhal, important répertoire bibliographique qui rendra peut-être son nom inséparable de celui d’Henri Beyle, à côté des noms de Romain Colomb et de Casimir Stryienski. Cette publication lui vaut de connaître désormais les douceurs, qu’il appréciait fort, de la notoriété. De tous les coins du monde, c’est à lui que s’adressaient des lecteurs de Stendhal en quête d’un renseignement, d’un texte introuvable ou d’un document peu répandu.

À ses visiteurs comme à ses correspondants, le brave homme ne marchandait ni sa peine ni son temps. Dans sa salle à manger de la rue des Abbesses qui lui servait de cabinet de travail, ouvrant ses deux vastes bibliothèques, il mettait à la disposition des premiers ses trésors stendhaliens : éditions originales rarissimes, recueil d’autographes, collections de portraits, répertoires bibliographiques, jusqu’à des assiettes ornées du portrait de Stendhal, heureux de la sorte d’émerveillement qu’il voyait que tout cela causait. Aux seconds, il répondait sans jamais se lasser, usant à cela ses yeux déjà bien fatigués, donnant un renseignement, communiquant un document, se dévouant même, nous l’y avons surpris plus d’une fois, jusqu’à copier, de sa belle écriture de comptable, pour un lecteur lointain, le texte entier de telle nouvelle de Stendhal omise dans les éditions actuelles.

Tout lui était plaisir sans pareil qui touchait, d’une façon ou d’une autre, à l’homme encore si mystérieux que fut le grand ami de Mérimée. À l’entendre en parler, on eût juré qu’il l’avait connu. Même les gens, il prenait opinion d’eux selon qu’ils aimaient ou n’aimaient pas Stendhal. Avait-il, depuis le grand jour de son coup de foudre, écrit une lettre, sans que ce nom s’y trouvât ? Bien sûrement nom. Stendhal en tout, Stendhal partout, Stendhal toujours. Il en riait d’ailleurs lui-même, de cette passion qui l’absorbait. «Je dine de Stendhal et je soupe de Beyle», disait-il, parodiant un vers célèbre.

Un beau jour pour lui fut celui où Casimir Stryienski publia Les soirées du Stendhal-Club, club idéal, sans jamais aucune réunion, composé de tous ceux, épars dans le monde, qui ont trouvé dans Beyle un excitateur d’esprit. Le Stendhal-Club ! Et dans la préface de ce volume, écrite par M. Léon Bélugou, il se voyait nommé, révélé, consacré ! Il eut alors la révélation du titre qui lui convenait : Bibliothécaire du Stendhal-Club, et désormais ce titre suivit son nom sur ces cartes de visite.

Les traits sont nombreux qui peindraient au complet l’original, dans le meilleur sens du mot, que fuit Adolphe Paupe. Nous lui avions promis d’écrire un jour un portait de lui. Il l’aurait lu dans cette revue, dont il était le collaborateur et où il comptait des amis. Heureux comme un enfant à cette seule promesse, il avait tenu à compléter, par nombre de petits détails sur sa personne et sur sa vie, nos impressions personnelles. Une notice nécrologique vient aujourd’hui avant ce portrait. Nous ne renonçons pas néanmoins à l’écrire, quand la place pourra être rendue aux choses de la littérature. Le dévouement d’Adolphe Paupe à la mémoire d’un grand écrivain mérite bien ce petit hommage. Il nous manquera seulement la joie exubérante qu’il en eût montrée.

En plus de son Histoire des œuvres de Stendhal, Adolphe Paupe a publié, en collaboration avec l’ex-avoué Chéramy, une édition complète (à l’époque) de la Correspondance de Stendhal, et dans l’édition des Œuvres complètes de Stendhal, entreprise par M. Édouard Champion, un volume : La Vie littéraire de Stendhal, composé de différents articles et documents beylistes. Il a en outre collaboré au Mercure de France, au Censeur, à l’Ermitage et à Paris-Journal.

La perte d’un de ses fils, André Paupe, soldat au 22e dragons, mort à Tours, en mars 1915, des suites d’une opération consécutive à une blessure reçue dans les premiers combats de la guerre, avait attristé les derniers mois d’Adolphe Paupe et on assure qu’elle a contribué à avancer sa fin. Néanmoins, quand on considère sa vie, avec la passion qui l’a remplie, les petites satisfactions qui lui ont été données et qui avaient pour lui du prix, on est porté à dire qu’il a été, dans sa petite sphère, un homme heureux.

Les obsèques d’Adolphe Paupe ont été célébrées le 23 février. L’inhumation a eu lieu au cimetière de La Chapelle. Dans l’assistance, comme stendhaliens, MM. Léon Bélugou et Lucien Pinvert. M. Édouard Champion, au nom et comme président du Comité Stendhal, a prononcé sur la tombe un discours dans lequel il a rappelé, en termes justes, l’homme simple et bon, le stendhalien fervent le bibliothécaire modèle que fut Adolphe Paupe.

P. L. [Paul Léautaud]
source

 

Acte de décès d'Adolphe Paupe

acte décès Adolphe Paupe
acte de décès d'Adolphe Paupe, 20 février 1917

 

 

«Au Stendhal-Club», André Maurel, 12 mars 1914

Au Stendhal-Club, L'Homme libre, 12 mars 1914
L'Homme libre, André Maurel,
12 mars 1914

 

 

tombe Stendhal, cimetière Montmartre, 20 oct 2014
tombe de Stendhal (1964), cimetière de Montmartre, 20 octobre 2014

 

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