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22 mai 2017

La Jeunesse de Théophile, de Marcel Jouhandeau

La_jeunesse_Théophile,_Marcel_Jouhandeau,_1921,_couv

 

 

La Jeunesse de Théophile,

de Marcel Jouhandeau

 

 

Je reprends la matière d'un article que j'ai créé pour une encyclopédie en ligne.

________________

Jouhandeau portrait 1921

 

La Jeunesse de Théophile est un roman (1) de Marcel Jouhandeau (1888-1979) publié à la NRF en 1921.

 

ci-contre, Jouhandeau en 1921 :
Les Annales politiques et littéraires,
27 novembre 1921

Titre et avant-propos

Le titre complet est La Jeunesse de Théophile. Histoire ironique et mystique. Un avant-propos de l'écrivain Paul Morand figure dans l'édition de 1948 ; il s'agit de la reprise d'un article paru dans La Nouvelle Revue française le 1er septembre 1921.

Résumé

La Jeunesse de Théophile est l'hallucinante initiation religieuse et mystique (à travers trois étapes : les idoles - la raison - la perfection) d'un jeune garçon dont on ne sait s'il l'a vécue ou en partie rêvée (2). Marcel Jouhandeau évoque le monde des croyances et des traditions d'avant 1914, leur effusion onirique dans l'esprit d'un enfant d'une bourgade ruralo-bourgeoise de la Creuse (Guéret)... ou de nulle part. Car la trame du récit touche à l'universel : comment aimer Dieu (Théo-phile) tout en côtoyant l'hypocrisie des dévots, mais aussi la tentation et le péché ?

 

Guéret place du Marché, Jouhandeau
Guéret, la place du marché, que de fois traversée
par Jouhandeau dans sa jeunesse

 

Personnages

La famille
  • Théophile Brinchanteau.
  • Papa et maman Brinchanteau : parents de Théophile ; le père est boucher, la mère (Marie) a voulu être religieuse ; peu mentionnés.
  • Balsamine : jeune sœur de Théophile ; apparaît peu (p. 4, 40, 88, 122, 137, 142, 146-147, 156, 215).
  • Tante Ursule : tante maternelle de Théophile, choisit son prénom et s'occupe de lui ; sa mort (p. 61-66).
  • Rose : nourrice du petit Théophile.
  • Grand-mère Briochet : mère de maman Brinchanteau et de tante Ursule ; ancienne boulangère ; sa mort (p. 156-158).
  • Oncle Briochet : frère de la mère de Théophile et de tante Ursule (p. 55).
Les êtres singuliers
  • Madame de Quincanmille : douairière (p. 48-49).
  • « L'Idiot » : adolescent qui court les rues (p. 85-86).
  • Madame Verneuil : simple paysanne qui ne se soucie pas du jugement des autres (p. 86).
  • Le père Nadeau : petit vieux de soixante ans qui n'entre dans la ville qu'à la nuit et rassemble « des extrémités du monde tous les fantômes de son imagination » (p. 87).
  • Mademoiselle Marie Duranton qui promène sa mère surnommée « la Chèvre » (p. 89).
  • La femme du plombier : « énorme, elle était plus qu'un être encore humain » (p. 133).
  • Madame de Villemirail (p. 171-173).
  • La marquise des Ursins (p. 174-175).
Les amis
  • Félix : un camarade « vulgaire » de Théophile (p. 73).
  • Théodule : ami de Théophile (p. 111).
Les initiatrices
  • Tante Ursule (p. 15-75).
  • Jeanne, ancienne carmélite (p. 79-164).
  • Madame Alban (p. 167-230).

 

Marcel Jouhandeau, années 1930 jpg
Marcel Jouhandeau, années 1930 (source)

 

Écriture

Composition

Le livre comprend trois parties d'importance à peu près égale (60, 86 et 63 pages), dominées par la figure d'une femme :

  • "Tante Ursule ou l'âge des idoles" ;
  • "Jeanne ou l'âge de raison" ;
  • "Madame Alban ou l'âge de la Perfection".

Chacune des trois parties est composée de nombreux chapitres, respectivement : 43, 43 et 4, ce dernier comprenant 39 articles numérotés en chiffres romains. Ils sont parfois très courts. Cette fragmentation extrême permet de rendre compte du rapport segmenté au temps de l'enfance dans ce que l'écrivain présente comme le propre regard de l'enfant : impressions fugaces, incompréhensions soudainement levées, passage rapide d'une préoccupation à une autre.

Les titres des chapitres relèvent de deux thématiques :

  • profane : lieux, événements, personnages, objets ;
  • religieuse : "le missel", "le tombeau du martyr", "Messe de minuit", "mariage mystique", "Tu délaisseras ton père et ta mère", "Dieu", "la semaine sainte", "le jeudi saint", "Vendredi saint".
Style

Les phrases sont souvent courtes mais s'allongent dans le cours du livre. Les descriptions sont économes d'adjectifs, le rythme rapide et élégant. Les scansions alternent le narratif et le poétique. Le vocabulaire est riche et pourvoit à la rêverie mystique :

« À l'approche de la nuit, certain soir [Jeanne et Théophile] entrèrent dans le cœur du bois et furent par la grande conversation des arbres conduits jusqu'aux arcanes de la Vie. Théophile s'abandonnait à éprouver cette mauvaise conscience de la nature qu'est une forêt.
La cathédrale de Satan soulevait autour de l'homme-jeune ses portiques, ses arceaux, ses flèches, ses fûts de colonnes gigantesques, ses verrières d'or sur azur. Théophile songeait à la multitude des adorations qui se cachent dans une forêt pour êtres impies. L'attouchement empoisonné de l'herbe digitale comme d'un gant violet sur son mollet nu, l'incantation nombreuse des insectes autour de son front le troublaient. Mille pattes velues, hagardes et toutes les bouches des êtres le sollicitaient sous une seule feuille d'acacia. Il était sensible aux mondes très anciens que chacun de ses pas détruisait. Les deux pieds de Théophile reposaient sur une hécatombe d'astres comptés par Dieu et peuplés de mauvais esprits (3). »

La syntaxe manifeste un grand style qui atteint parfois une part d'énigmaticité (4) : "Des bouleaux d'argent et des thuyas-cyprès autour d'un cèdre, quelques saules pleureurs s'y pressaient autour d'une vasque de marbre, où semblait dormir, - au fond de la source, couronnée de nénuphars languissants, l'âme immémoriale de la solitude" (p. 201).

La férocité de certaines descriptions sociales - développées plus tard par l'auteur (Chaminadour) - est déjà présente dans La jeunesse de Théophile. Elle n'est pas subordonnée à un naturalisme même pessimiste, plutôt à un "réalisme magique" (5) voire à un "réalisme mystique" (6).

« Dans la campagne, autour de la ville, - clairsemés, - les villages ressemblaient, affublés de noms bizarres, à des bêtes farouches, assises sur le bord du chemin pour vous voir passer et peut-être vous faire du mal.
Une cour nombreuse y régnait sous le manteau d'un maître inconnu. Des esprits en sortaient régulièrement pour s'en aller par les landes errer avec des troupeaux, devant lesquels il était prudent de fuir. Quelques-uns de ces esprits cachaient des haines, comme des monstres douloureux.
Le monstre qu'on avait vu du haut des remparts enfoui dans l'herbe en enfantait mille autres à son image. Un paysan qui ressemblait à son chien et à ses bœufs, blouse ocre, épaisse comme du cuir, moustache «rouge», poil fauve pendant jusque sur ses sabots, - méditait, en égrenant un chapelet maudit, de brûler la maison de son frère. On disait ces contes d'incendiaires fantastiques la nuit à Théophile, quand la cloche et le clairon l'éveillaient pensif au cœur de l'Enfer (7). »

 

Rue des Pommes à Guéret
boucherie Jouhandeau, rue des Pommes, à Guéret

 

Analyse

Le genre littéraire de La Jeunesse de Théophile s'apparente à l'autopsychographie (8). Une autobiographie traversée par le questionnement mystique et le sens du péché, dans le monde à la fois émerveillé et angoissé de l'enfance. Claude Mauriac qualifie Jouhandeau "d'homme hanté de Dieu" (9).

Mais tout l'univers de l'enfant est hanté de Dieu. Pour André Blanchet, "La Jeunesse de Théophile nous apprend que son auteur fut un premier communiant ébloui pour toujours par l'or des chasubles, des chapes, de l'ostensoir. Toutes les maisons du village se nichaient comme autant d'absidioles au sein d'une cathédrale énorme dont l'église était le tabernacle. Rien n'échappait au sacré. Au-dessus du lit, le crucifix jugeait les actes et jusqu'aux pensées de l'enfant. Sortait-il dans la rue, il croyait entendre l'Éternel appeler chacun par son nom, et chacun répondait «Présent !» Puisque tout déjà était patent au regard de Dieu, l'indiscrétion était impossible" (10).

Le rapport du personnage à Dieu est inscrit dans son prénom : théo-phile = celui qui aime Dieu. Dans son initiation religieuse, celles qui ambitionnent servir de guides à Théophile sont trois femmes.

Tante Ursule

Elle conduit Théophile dans les églises, et les cimetières. Il y découvre les idoles : les statues, les surplis des prêtres en procession avec l'ostensoir (p. 21).

  • Dans un couvent, il entend parler du Bien et du Mal ("deux personnes qu'il n'avait jamais vues") et il répond "oui" à la Supérieure qui lui dit : "Tu seras prêtre, Théophile ?" (p. 24-25). Mais Théophile n'aime pas Dieu car le sens qu'il donne à ce mot est encore borné : "Quand Tante Ursule me dit qu'elle m'aime, c'est qu'elle se dispose à m'ennuyer" (p. 50). Il s'inquiète de l'approche de sa première communion : "Et pourquoi communierais-je, si je n'aime pas Dieu ?" (p. 50).
  • Mais sa première confession à l'aumônier ("Mon père, je n'aime pas Dieu", p. 51) le sauve : "Tu es un vrai chrétien, mon Théo. Il n'y a avait que toi ici pour ce scrupule. Il n'y a que toi dans cette paroisse, crois-moi, qui aimes Dieu et le comprennes. Tante Ursule l'aime moins que tu ne l'aimes et tu le comprends mieux que je ne le connais" (p. 51-52). Théophile devient donc, "sur son prie-Dieu de velours brodé (...) le premier Amant de Dieu" (p. 52).
Jeanne sœur Marie des Anges

La rencontre avec ce personnage est totalement onirique : "Le soir du jour de Félix, Dieu envoya vers Théophile sept jeunes filles pour parfumer son âme et qui le garderaient du premier venu, pendant tout le temps de l'adolescence" (p. 93). Elles le conduisent vers Jeanne, ancienne religieuse carmélite : "Théophile entrait dans un monde nouveau. Rêvait-il ? Cette femme avait revêtu devant lui les grâces étranges des princesses d'autrefois. Le luxe et les délicatesses de son âme désemparaient Théophile (p. 95) (11).

  • Cette partie consacrée au temps passé avec Jeanne est riche en métaphores vétéro ("Tu délaisseras ton père et ta mère") et néo-testamentaires, telle la Montagne (Thabor), les tentations (celle de l'amitié, par exemple), la Semaine Sainte, le lavement des pieds, etc. Mais elle ne présente pas d'unité narrative : les chapitres qui font intervenir Jeanne semblent appartenir au mythe et sont entrecoupés de passages plus prosaïques. Le personnage de Jeanne est ambigu, s'offrant comme intercession vers le mystère divin et mais également comme être de désir : "Jeanne aimait Théophile chaque jour davantage, au détriment de Dieu, et Théophile, découvrant chaque jour davantage en lui-même émerveillé Dieu escorté, oubliant Jeanne pour son Dieu" (p.104).
  • La dernière apparition de Jeanne la mentionne errant dans le cimetière et s'effaçant pour laisser seul Théophile (p. 163). Celui-ci passe alors de la vision réelle d'une très ancienne statue du Christ au somment d'un mur triste à une extase entièrement mystique : "Toute la nature se résumait au centre du mur gris dans le rayonnement de la Blancheur sainte. De loin, c'était à la vision synthétique du Père qu'on participait, on n'apercevait ni les bêtes ni les herbes, ni les dix mille poussières étincelantes et vivantes, on n'apercevait pas la Nature qui est une infime part de la réalité, on n'apercevait plus que la Nature, on n'apercevait que le christ, on apercevait le Règne de la Grâce, où le règne de la Nature, qui est lui-même une infinité de règnes, - est inscrit. Le Père ne voit que le Christ et dans le Christ la Nature toute et chacun des êtres. La terre verdoie. Théophile éprouve une joie divine, agenouillé, ses deux mains brûlantes sur le gazon" (p. 163-164). Le garçon semble enfin parvenu à l'ultime perception des Mystères, mais la science lui fait encore défaut.
Madame Alban

C'est une "dame du meilleur monde" (p. 177) qui aborde Théophile en pleine église, une veille d'Ascension, et lui propose de visiter sa bibliothèque riche d'auteurs mystiques et de philosophes. Elle le reçoit peu après et lui dit : "Jeanne vous aime plus que Dieu. Où est votre souci de la Perfection ?" (p. 79).

  • Jouhandeau semble s'amuser dans cette partie, moins dense religieusement que la précédente. La Perfection est aussi le nom qu'il donne à madame Alban raillant son égoïsme, sa jalousie et ses acrimonies : "Vint le jour où Madame Alban se fâcha des assiduités de Théophile auprès de Placard : «Est-ce la philosophie ou l'abbé qu'il me préfère ?» se demanda-t-elle anxieusement" (p. 194).
  • Madame Alban considère Théophile comme son disciple sur lequel elle exerce un ascendant véritable. Elle entreprend de l'isoler progressivement de tout lien familial et social ("Théophile concevait que, malgré l'apparence, il n'y avait plus désormais aucun rapport véritable entre lui et la société humaine", p. 188), de tout rapport avec l'extérieur ("Il faut que vous haïssiez l'attitude du promeneur. L'homme qui se promène est content de soi, jouit de soi, de l'espace et du temps, comme s'il disposait de l'un et de l'autre (...). Se promener, c'est marcher dans le vide ; marché dans le vide, c'est commencer à choir", p. 202-203), de tout tête-à-tête avec lui-même ("Cette vie intérieure de Théophile faisait du tort à Madame Alban", p. 188).
  • le dessein de Madame Alban pour Théophile relève de l'emprise totale. Elle présente habilement comme un accès suprême à l'abandon de soi en Dieu : "L'union d'âmes est un mystère de plus, disait-elle. Dieu s'apprend à ne pas distinguer les mérites ni les fautes de deux êtres. Leur union, leur unité est dans le regard de Dieu. Il ne faut pas qu'il y ait de secret entre nous. Vous me direz tout le mal que vous voyez en moi et tout le bien que vous pourriez me dissimuler en vous. Nous en sommes venus à ces confins de l'amitié où il ne peut plus y avoir d'humilité ni d'orgueil pour l'un de nous deux en face de l'autre" (p. 185).
  • Mais Théophile découvre l'exclusivisme de Madame Alban à son égard : "Choisissez, Théophile. Monsieur l'Aumônier vous l'ordonne (...) Le sacerdoce ou moi" (p. 222). Se sentant délivré, il finit par la quitter. "Il se mit à courir vers ceux qui l'attendaient, tandis que Madame Perfection se retirait déjà très loin au fond de son souvenir. Les étrangers l'avaient trouvée roide sur le perron derrière lui. Ils l'emportèrent dans une grande maison où il n'y avait personne, avant de refermer sur elle deux grandes portes grises, comme de vieil argent" (p. 230). Cette dernière image renvoie à un passage de l'Ecclésiaste (Ancien Testament) : "...où les deux battants de la porte se ferment sur la rue quand s'abaisse le bruit de la meule, où l'on se lève au chant de l'oiseau, où s'affaiblissent toutes les filles du chant" (12).

 

La Jeunesse de Théophile couv

 

Critique

La publication de La Jeunesse de Théophile a suscité des réactions différentes. Celles-ci ont surtout concerné l'aspect technique du roman sans pénétrer le subtil composé d'ironie et de mystique comme l'indiquait pourtant le sous-titre de l'œuvre.

  • Paul Morand rend compte de La Jeunesse de Théophile dès sa parution, sans guère se prononcer sur le fond : "Le livre de Marcel Jouhandeau parcourt toute une gamme, depuis les sains et crus bariolages du début jusqu'aux nuances les plus faisandées. L'auteur s'y meut avec aisance, bien qu'il penche par instants vers une préciosité d'images qui, appliquées à des scènes de vie simple, produisent toujours un douloureux effet. Mais son délicieux livre, d'un mérite certain, doit être choisi, lu et agréé." (13)
  • Dans l'Humanité du 4 décembre 1921, Marcel Martinet livre une critique plus informée : "On a trop peu parlé de ce livre, paru depuis plusieurs mois déjà. C'est un livre remarquable, et l'auteur est quelqu'un. Théophile est un enfant de petite bourgeoisie commerçante de province : à la fois n'importe quel enfant, et un être singulier, refermé sur lui-même et s'y cachant d'âpres extases ; cet aspect étrange s'accentue en raison du milieu clérical où il vit et où il est la proie d'une curieuse matrone érotico-mystique. La valeur et l'intérêt de l'ouvrage, qualités et défauts, viennent d'une grande harmonie entre le sujet et la manière dont il est traité : construction pour ainsi dire algébrique et analyse minutieuse du détail, correspondant à l'ardeur sèche et défiante de cette âme d'enfant ; parfois une sorte d'effusion contrainte et des ébauches de sourires pincés ; le style est pareillement surveillé, et comme dessiné et colorié avec une précision d'enlumineur". (14)
  • André Thérive formule plusieurs objections relatives au style mais aussi au contour du personnage : "Marcel Jouhandeau (...) a de l'esprit et le souci de la singularité, sans parler de son observance scrupuleuse de cette mode qui exige une sobriété précieuse et elliptique, des juxtapositions de phrases menues, à la syntaxe pauvre. La Jeunesse de Théophile serait peut-être un livre agréable si précisément cette mode n'y régnait avec despotisme, servie par une affectation qu'il est permis de trouver juvénile." Quant à la figure de Théophile, André Thérive l'estime trop énigmatique, sinon fantomatique : "Cette œuvre, qui a pour sujet une vie d'enfant et de jeune homme, contient du reste mille jolis détails, sans une seule ligne générale : telle est l'effet du propos de l'auteur. Il n'y a au cours du récit qu'impressions curieuses, sensations fugitives, et tous les modes de la passivité ; mais d'âme nullement. (...) En l'espèce, il y a un petit roman véritable dans l'histoire incohérente de Théophile : ce sont ses amours de jeune clerc avec une certaine Mme Alban, quinquagénaire hydropique et mystique : or nous n'y comprenons guère davantage qu'à ses aventures de bébé, lesquelles au moins n'ont pas besoin d'être comprises. C'est que le personnage n'existe pas en tant qu'homme, ni ceux qui gravitent autour de lui. Je défie qu'on trouve dans cette histoire, à demi polissonne, le moindre sentiment naturel, le moindre conflit de passions et de scrupules (...)". (15)
  • En 1937, Pierre Vacquin (1902-1958) estime que toute l'œuvre de Jouhandeau procède des premières lignes de La Jeunesse de Théophile : "S'il est vrai que les sensations premières dont s'imprègne l'esprit de l'enfant marquent profondément l'homme pour la vie entière et d'autant plus profondément que son appareil sensoriel est plus perfectionné donc plus délicat, toute l'œuvre de Marcel Jouhandeau est issue de ces quelques lignes où nous trouvons la source de ce climat particulier, qui unit La Jeunesse de Théophile à son dernier livre Le Saladier d'un lien subtil, ténu comme un fil de lune, permanent dans ses méandres et ses propres différences et qui nous permet de suivre à la trace les manifestations de son incontestable, bien qu'inquiétant, génie". (16)

 

Éditions

La Jeunesse de Théophile a connu de nombreuses éditions depuis 1921 (au moins quatre cette année-là). En 1948, Gallimard ressort le titre en indiquant qu'il s'agit de la 5e édition. (17) En 1998, il est accueilli dans la collection L'Imaginaire.

 

Bibliographie

 

En ligne

 

Michel Renard
professeur d'histoire

 

Notes

1 - Jouhandeau refusait la notion de roman, il se disait "chroniqueur", attaché à "la réalité, à la vie telle qu'elle se présente devant moi". Cf. "Les Jouhandeau", émission de la Radio Télévision suisse romande, 17 janvier 1963 ; réalisateur : Maurice Huelin [archive].
2 - Cette imbrication n'est pas réservée à La Jeunesse de Théophile : «L'oœuvre fictionnelle de Marcel Jouhandeau est marquée par une ambiguïté essentielle, consistant en l'effacement des frontières entre fiction et réalité, entre imagination et fait réel», Geert Missotten, «L'écriture et la vie dans l'instant : Marcel Jouhandeau et Don Giovanni», Revue belge de philologie et d'histoire, 1998, vol. 3,  n° 76, p. 745.
3 - La Jeunesse de Théophile, éd. L'Imaginaire/Gallimard, 1998, p. 100.
4 - Sur la notion d'énigmaticité, cf. Jean Bessière, L'énigmaticité de la littérature - Pour une anatomie de la fiction au XXe siècle, 1993.
5 - Jacques Ruffié, "Jouhandeau et les mythes", Sur Marcel Jouhandeau. Analyses littéraires, témoignages, anecdotes, Presses universitaires de Limoges, 1992, p. 106.
6 - Edmond Jaloux, "L'évolution du roman français", dans Prévost (J.), éd., Problèmes du roman, Lyon, Confluences, 1943, p. 25-35.
7 - La Jeunesse de Théophile, éd. L'Imaginaire/Gallimard, 1998, p. 79.
8 - Jean Gaulmier, "Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, 1975", Revue d'histoire littéraire de la France, novembre 1977, p. 1041.
9 - Claude Mauriac, "Algèbre des valeurs morales par Marcel Jouhandeau", La Revue hebdomadaire : romans, histoire, voyages, novembre 1935, p. 112.
10 - André Blanchet (1899-1973), "L'imposteur ou l'apothéose de Marcel Jouhandeau", Études, revue jésuite, juillet 1950, p. 91.
11 - Théophile est alors âgé de onze ans (p. 99).
12 - Jacques Ruffié, "Jouhandeau et les mythes", Sur Marcel Jouhandeau. Analyses littéraires, témoignages, anecdotes, Presses universitaires de Limoges, 1992, p. 97.
13 - La Nouvelle Revue française, 1er septembre 1921, p. 357-358.
14 - Marcel Martinet, "La vie intellectuelle. Les livres", L'Humanité, 4 décembre 1921.

15 - André Thérive, La Revue critique des idées et des livres, octobre 1921, t. 33, n° 193, p. 164-175.
16 - Pierre Vacquin, La Renaissance de l'art français et des industries de luxe, janvier 1937, p. 57.
17 - http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32291005t.

 

 

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